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lundi 1 avril 2013

Obsessions : Inventaire


Le FOU parle, N° 24

Inventaire, par Jean-Luc Hennig  :


Celui qui volait les draps qui sé­chaient sur les
étendoirs, et qui en avait entassé une tonne chez lui.


Celui qui passait son temps à se bi­chonner, dans un
miroir de poche.


Celui qui se souvenait absolument de tout, et
n'arrivait plus à s'en défaire.


Celui qui passait son temps à se suicider, avec des
lames de rasoir dans le bras: il était déjà mort 17 fois.


Celui qui ne faisait que répéter les mots des autres.


Celui qui se pendait toujours dans l'amour.


Celui qui aimait dormir assis.


Celui qui voulait se vieillir tou­jours.


Celui qui vivait dans le noir.


Celui qui se cachait toujours dans les réduits, les
placards, les coffres de voiture, les niches à chien ou
les cabi­nes de bain.


Celui qui collectionnait les crânes de rats.


Celui qui toute la journée recopiait la liste des
marques de cigarettes,des mammifères et des tribus
indiennes.


Celui qui, la nuit, téléphonait à des inconnus, pour les
effrayer, ou les ame­ner au plaisir.


Celui qui montait des cabales contre ses voisins, et
au besoin les dé­nonçait comme un corbeau.


Celui qui aimait simplement se mettre nu devant les
autres, et se faire regarder sur intimation.

Celui qui rêvait d'orgies romaines, où des éphèbes
métis, couronnés de dattes, d'amandes effilées, et
nappés de miel, se donneraient au plaisir du des­sert.


Celui qui ne voulait vivre que dans le froid.


Celui qui rêvait d'être coupé.


Celui qui hantait les lieux sinistrés, et plus
volontiers encore les immeubles brûlés.


Celui qui aimait avant tout les dif­formités, les
handicaps, les moignons.


Celui qui voulait toujours monter plus haut pour
éprouver le vertige de tomber.


Celui qui tous les jours sortait sous un déguisement
différent.


Celui qui était toujours prêt à se vendre à n'importe
qui pour n'importe quoi.


Celui qui rêvait qu'il était toujours sous les feux des
sunlights, et qui fer­mait les yeux de contentement, en
se faufilant dans la foule.


Celui qui, avec ses rognures d'on­gle, tapissait les 
murs de sa chambre, pour qu'elle en prenne un air
féroce.


Celui qui collectionnait les baisers, et en comparait la
fraîcheur, l'élasticité, l'élan et la profondeur.


Celui qui n'aimait que les défauts, ou exotismes de
langue: les accents, les zézaiements, les mâchouillis.


Celui qui s'était mis en tête de dé­couvrir le coin de
terre le plus merveil­leux.         


Celui qui n'aimait que les hommes aux yeux presque
fermés.


Celui qui ne lisait, dans les jour­naux, que les
nécrologies de ses contemporains.


Celui qui vivait toujours à une autre heure que la
nôtre.


Celui qui ne s'habillait que de dé­pouilles.

Celui qui collectionnait les photos des dents de ses
amants.


Celui qui enfermait ses odeurs pré­férées dans des
flacons.


Celui qui chaque jour faisait un nouveau testament,
qu'il envoyait à son notaire.


Celui qui guettait les flics, quand ils retenaient un
homme en otage, et qu'ils le forçaient brutalement à
entrer dans le fourgon.


Celui qui n'aimait personne, et s'absentait dès qu'on
l'entreprenait.


Celui qui, chaque jour, se brûlait un petit coin de peau
différent.


Celui qui rêvait d'être noir, et se ci­rait la peau.


Celui qui disséquait chez lui les chats.

Celui qui dormait dans une cham­bre entièrement, et
uniquement remplie de vieux papiers, sacs en
plastique et linge sale.


Celui qui tous les jours achetait un autre bâton de
rouge à lèvres. 


Celui qui collait tous les journaux qu'il achetait, sans
les lire.


Celui qui avait arrêté sa vie un cer­tain jour de 1947,
et qui depuis vivait encore à la façon de l'époque.


Celui qui s'était tatoué presque en­tièrement en peau
de serpent.


Celui qui découpait ses peaux mortes, ses boutons
ou ses tumeurs pour en faire des reliques.


Celui qui à tout moment émettait un grognement.


Celui qui incendiait les méharis.


Celui qui, tous les samedis, pour rendre visite à sa
mère, en province, prenait le train de 10 h 12,
seconde classe non fumeurs, côté fenêtre, wagon de
tête.


Celui qui buvait dans ses chaussu­res.


Celui qui n'aimait qu'en léchant.


Celui qui vivait dans les trains, depuis plusieurs
années.


Celui qui était si mou qu'il gardait toujours la bouche
ouverte.


Celui qui se lavait seulement le haut du visage et les
mains.


Celui qui était resté vierge toute sa vie.


Celui qui, par règle, ne voulait plus dire un mot de sa
vie.


Celui qui, partout où il allait, em­brassait la terre.


Celui qui, pour l'amour, se cou­vrait entièrement de
bandelettes.


Celui qui, pour l'amour, aimait nager le plus loin
possible dans la mer et lancer
un défi aux inconnus.


Celui qui, pour l'amour, se rasait en­tièrement.


Celui qui envoûtait les autres pour en savoir les
secrets.


Celui qui enfermait ses amants pour les regarder par
des meurtrières, sans qu'ils le sachent.


Celui qui volait toujours un souve­nir aux gens qu'il
rencontrait.


Celui qui, pour l'amour, n'aimait que les peaux
grêlées.


Celui qui arrachait toujours les pé­tales des fleurs
sans les cueillir.


Celui qui épinglait les fourmis.


Celui qui s'amourachait toujours de femmes
saphiques.


Celui qui n'aimait que les odeurs d'huile, de garage et
de cambouis; ou celles de
sueur, de chaussettes trempées et de maillots collés;
ou celles de chaux, de
chantiers boueux et de salo­pettes de maçons.


Celui qui multipliait les doubles vies, si bien que
personne jamais n'avait eu l'idée de le soupçonner.


Celui qui collectionnait la pous­sière.


Celui qui s'était fait coudre les paupières.


Celui qui fouettait les bêtes à mort pour en faire une
œuvre d'art.


Celui qui violait les volatiles en leur coinçant la tête
dans le tiroir.


Celui qui vivait au milieu des plumes.


Celui qui, la nuit, se relevait dix fois pour se mettre à
genoux et faire sa prière.


Celui qui dormait toujours avec un oreiller vide à côté
de lui.


Celui qui ne voulait pas grandir.


Celui qui, grâce à ses appareils per­fectionnés, épiait
les conversations de ses voisins, y compris leurs
débats inti­mes.


Celui qui montrait toujours sa queue aux fillettes,
dans les couloirs des immeubles.


Celui qui cherchait à vivre exactement la vie d'un
autre.


Celui qui relevait toujours, dans un tic nerveux, le
bord gauche de sa lèvre supérieure, et laissait
découvrir les dents.


Celui qui avait toujours l'œil fixé sur le calendrier, dont
il avait défini scrupuleusement les jours fastes et
       né­fastes.


Celui qui adorait croquer les fruits de mer comme des
pralines.


Celui qui répétait qu'aucune mort au monde n'est un
malheur, et même n'a la moindre importance.


Celui qui n'aimait que les langues mortes, que
personne jamais ne parle­rait plus.


Celui qui ne pouvait parler aucune langue étrangère.


Celui qui se caressait à l'intérieur en regardant les
autres.


Celui qui ne faisait plus rien qu'en public, y compris
l'amour.


Celui qui n'aimait que les tons de violet, un peu
passés.


Celui qui, pour l'amour, regardait d'abord aux dents et
aux fesses.


Celui qui déménageait à tout bout de champ, jusqu'à
louer des chambres en hôtel, par goût de l'aventure.


Celui qui n'aimait que la souf­france dans l'amour.


Celui qui n'aimait que les Portugais ou les Florentins,
râblés et bien découplés, et assortis d'une
moustache.


Celui qui ne comptait plus que par dizaines, comme à
la belote, les garçons qu'il avait aimés, et qui
dépassaient sensiblement les  3000.


Celui qui se définissait lui-même comme un gratte-
talons.


Celui qui avouait être un mangeur d'araignées.


Celui qui n'aimait les enfants qu'entre deux âges: 9 et
13 ans.


Celui qui imaginait que sa vie était réglée par des
signes du destin, dont il était toujours à l'affût.


Celui qui aimait se frotter le cul dans des torchons
mouillés.


Celui qui croyait toujours avoir tout vécu, et se
fatiguait encore plus à cette idée.


Celui qui aimait tellement les pochettes à ses vestons
qu'il les assortissait à sa météorologie personnelle.


Celui qui établissait des records, celui qui les
recensait pour en faire un livre,celui qui recopiait les
plus excentriques pour en faire un article, celui qui
s'inspirait de cet article pour en faire une définition: de
quoi au juste ?


Celui qui recopiait tous ses rêves.


Celui qui, à la terrasse des cafés (et, le plus
volontiers, Place d'Italie), notait tout ce qui passait.


Celui qui ne lisait, dans les livres, que les sommaires,
tables et index. Parfois aussi, il regardait les images
et les croquis.


Celui qui fixait toujours les motifs des papiers peints
ou des revêtements de sol pour y découvrir des
monstres, des dragons ou des sorcières.


Celui qui était toujours, disait-il, à la recherche des
moments parfaits.


Celui qui crachait partout. 


Celui qui avait décidé de ne rien écrire d'important, ni
même de rien écrire du tout. Il disait s'y efforcer
réellement.


Celui qui aimait se faire caresser tous les matins,
dans le métro de 7 h 48, par un vieil homme qui
gardait la main dans la poche de sa gabardine.


Celui qui se branlait régulièrement le membre pour le
faire pousser.


Celui qui ne parlait de ses amants qu'en coups de
queue et coups de cul.


Celui qui tous les jours s'attendait au miracle.


Celui qui collectionnait toutes les photos de son idole,
Michel Serrault.


Celui qui essuyait tout, miettes, gras, cendres. Même
quand il ne les voyait pas.


Celui qui décollait la couverture des livres, pour
l'épingler au mur. Il jetait ensuite le livre.


Celui qui classait toutes les idées des autres dans
des fichiers en bois, qu'il feuilletait quand on lui
commandait un article très personnel.


Celui qui suivait certaines person­nes dans la rue, et
même prenait le train avec elles jusqu'en Italie, sans
leur vouloir d'ailleurs  aucun mal, simplement pour
veiller sur elles.


Celui qui, à chaque flirt, croyait vivre une passion,
avec ses chagrins et ses complications, et même ses
ruptures.


Celui qui, bien que dans la force de l'âge, n'avait plus
de goût pour l'amour, ni d'ailleurs pour grand chose,
sauf pour manger de mieux en mieux.


Celui qui, dans l'amour, ne ratait vraiment aucune
occasion pour faire des chatouilles.


Celui qui, par profession, recevait beaucoup de livres
à son domicile, et les jetait les uns après les autres,
aussitôt.


Celui qui préférait toujours ses amours passées.


Celui qui avait décidé de classer les anomalies.


Celui qui, avec beaucoup de savoir-faire, répondait
aux annonces d'emploi pour se faire offrir ses
randonnées de week-end.


Celui qui chiquait toute la sainte journée.


Celui qui collectionnait les emplacements des socles
sans statue.


Celui qui ramassait toujours les photos d'identité
ratées.


Celui qui était un amateur forcené des carnets
mondains, messes solennelles et ventes de charité.


Celui qui était un parasite des buffets.


Celui qui volait les lettres d'amour, au risque de 
provoquer des déchirements.


Celui qui était fou des drapeaux.


Celui qui avait appris tous les gestes obscènes.


Celui qui prenait, au magnétophone, les soliloques
des dingos de la cloche.


Celui qui photographiait les carcasses de voitures.


Celui qui n'avalait jamais l'hostie, mais la gardait
longtemps collée contre son palais.


Celui qui dormait, la nuit, dans les surplis des enfants
de chœur.


Celui qui n'aimait que les vierges.


Celui qui répétait qu'il était une œuvre d'art vivante, et
qu'il s'appelait Fabiola.


Celui qui changeait de nom régulièrement pour
disparaître sans laisser de traces.


Celui qui roulait tout le monde dans la farine, parce
qu'il était beau parleur.


Celui qui ne ratait jamais une croisière Paquet.


Celui qui, régulièrement, proposait la botte aux
chauffeurs de taxi, et qui  disait réussir neuf fois sur
dix.


Celui qui cachait à sa femme des revues cochonnes
en les enterrant dans son jardin.


Celui qui faisait tant pis à tout.


Celui qui adorait sa chienne plus que tout au monde.


Celui qui était toujours très fier de sa poitrine.


Celui qui grossissait avec amour.


Celui qui ne s'exaltait qu'aux catastrophes, et qui se
les rappelait toutes,  en tout cas les plus meurtrières.


Celui qui avait fait de son appartement un jardin, pour
toujours dormir sur l'herbe.


Celui qui tous les jours s'entaillait la peau.


Celui qui n'aimait vivre que dans les caves.


Celui qui tirait, tôt le matin, les oiseaux à la carabine.


Celui qui était abonné à un hebdomadaire littéraire
depuis le 17 juin 1923, et  qui n'y avait jamais failli.


Celui qui était prêt à passer des mois et des mois à
conquérir, et à se détourner sitôt la chose assurée.


Celui qui disait, à tout moment, qu'il lui fallait relire
  d'urgence le Journal de Jules Renard, La Vie, mode
d'emploi, ou encore L'Apprenti de Raymond Guérin,
et qui était bien trop paresseux pour le faire.


Celui qui prenait des comprimés de n'importe quoi
cinq fois par jour.


Celui qui avait décidé de conserver sa tête, après la
mort, dans une capsule à -176°, et qui y consacrait
toute son énergie.


Celui qui portait toujours sur lui, depuis tout petit,
deux ou trois gris-gris.


Celui qui voyait des manies partout, et qui en
devenait fada.


Celui qui faisait les toits, comme Arsène Lupin.


Celui qui ne cessait jamais de remuer les gambilles.


Celui qui aimait faire roucouler les chéries.


Celui qui aimait les dessous soua-soua.


Celui qui n'aimait que les peaux laiteuses et les
cuisses d'éléphant.


Celui qui aimait rester ligoté des heures, à la
disposition de son gardien, qui d'ailleurs le plus
souvent n'en faisait rien.


Celui qui raffolait des feuilles de rose.


Celui qui imaginait toujours ses amants le crâne
ouvert.



lundi 17 septembre 2012

La bibliothèque périlleuse , par Gilbert Lascault



En janvier 1979, dans le journal "le Fou parle", Gilbert Lascault régalait les lecteurs d'un SAVOUREUX article intitulé : 

"Quelques crimes imaginaires et leurs prétendues pièces à conviction"

En voici un extrait : 




     
      Gilbert Lascault par le duo de photographes Despatin et Gobeli

mardi 4 septembre 2012

Griselidis Réal, l'honneur de Genève



Griselidis Réal


Extrait  : 
C'est à Paris, il y a quatorze ans, dans une chapelle à Montparnasse, que je suis entrée en révolution, avec mes soeurs damnées. Depuis, je ne les ai jamais quittées. La révolution nous a prises, elle ne nous lâchera plus jusqu'à notre dernier souffle. Elle embrase le monde entier...  
 A tant d'amies disparues, mortes de solitude, de trop d'amour donné, jamais reçu : à leur mémoire, il faudra que je dise comment le quotidien les a assassinées, et le mépris des gens. Et comme elles étaient belles, généreuses, pleines de talent et de mystère, entourées de tous ceux qui avaient tellement besoin d'elles, qui avaient faim de leurs caresses, de leur tendresse, de leur infinie patience, de leur savoir, de leur pouvoir.
Devant leur mort, il n'y avait personne . Quelques amis, et nous les soeurs perdues, à pleurer sans un geste, devant leur corps retourné à l'oubli. Dérobé pour l'éternité à ces milliers de mains qui l'avaient parcouru.
Quel silence, sous les fleurs. Et comme l'enfance remontait d'elles à nous, tissée d'orgue et d'encens, à travers d'anciennes prières, et des vies trop vécues.
Et quelle immense délivrance enfin, qu'elles ne souffrent plus, à jamais évadées de ce monde trop dûr. 
Dormez en paix, constellations brisées.
                          "Le noir est une couleur", Postface 


J'ai rencontré Jean-Luc Hennig en 2010 dans un café parisien, où il m'a parlé de la symbolique de l'inhumation de Griselidis au Cimetière des Rois à Genève, en 2009 :


 

Jean-Luc Hennig a longtemps fréquenté Griselidis Réal (1929-2005), dont il a fait connaître les premiers écrits dans la revue "Le Fou parle", avant de publier "Griselidis Courtisane". 

Et voici la page sur Griselidis sur le blog d'Yves Pagès,  "co-animateur" des Editions Verticales (cliquer sur la photo) :