Et les plaisirs, comment vont-ils, Monsieur Quiros? (Sade prisonnier à son valet)

 Janvier 1780 : Le Marquis de Sade, alors prisonnier à Vincennes - où il est resté 5 ans et demie - écrit ainsi à son valet Carteron, dit Chevalier Quiros : 

Porte d'une cellule à Vincennes

Extrait : 

Et les plaisirs, comment vont-ils, Monsieur Quiros?

 Qui, de Bacchus ou de l'amour,

Remporte aujourd'hui la victoire?

Quoi! de les fêter tour à tour

Voulez-vous obtenir la gloire?  

Je vous en crois très capable, et les vins de Meursault, de Chablis, de l'Hermitage, de Côte-Rôti, de Lanerte, de la Romanée, de Tokay, de Paphos, de Xérès, de Montepulciano, de Falerne et de Brie chatouillent lubriquement vos organes, aux chastes flans des demoiselles Pamphale, Aurore, Adelaïde, Rosette, Zelmire, Flore, Fatime, Pouponne, Hyacinthe, Angélique, Augustine et Fatmé. 

A merveille, Monsieur Quiros! Croyez-moi, voilà comme il faut passer la vie; et quand l'auteur de la nature a fait naître des vignes d'un côté et des c.ns de l'autre, soyez très sûr que c'était à dessein que nous en jouissions. 

Pour quant à moi, Monsieur Quiros, j'ai également mes petites jouissances, et si elles ne sont pas si vives que les vôtres, elles n'en sont pas moins délicates. Je bats la semelle en long et en large ; j'ai, pour m'égayer à table (et cela par grande grâce) un homme, qui régulièrement et sans nulle exagération, prend dix prises de tabac, fait six éternuements, se mouche douze fois et crache gras et de la gorge au moins quatorze fois, et tout cela dans une demi-heure. Croyez-vous que cela ne soit pas bien propre et bien récréatif, surtout quand je suis sous le vent?

Il est vrai que, pour me distraire, il me vient tous les quinze jours un grand soldat invalide qui m'apporte un mandat à recommencer...

... Allez, Monsieur Quiros, croyez que ces voluptés-là valent bien les vôtres : les vôtres vous encrassent dans tous les vices, les miennes conduisent à toutes les vertus.

"La prison",  extraite d'une série de lithographies 

sur Sade par Salvador Dali

Gilbert Lely, dans sa biographie du Marquis, écrivait ensuite à la fin du chapitre sur la correspondance de Sade : 

Une voix de délire et de raison suprêmes : la voix cinglante et comminatoire du Marquis de Sade.  

Voici la symphonie arrachée aux enfers. Le souffle de l'acharnement d'un héros d'amour se mêle aux voix alternées d'Ariel et de Falstaff. La geôle se revêt d'idoles ineffables. Dans la ténèbre des murailles éclate un langage futur.

     

               

 Gilbert Lely par Sophie Bassouls                  Source : Vie du Marquis de Sade, 

                                                                               Ed. Mercure de France, 1989