vendredi 4 juillet 2014

L'autre vérité d'Alda Merini, extrait


Illustration : "Ferretine", Claude Garache, 1998

Nous errions de salle en salle comme enlaidis par nos propres pensées, lesquelles nous donnaient la chasse et nous transformaient en proies de nous-mêmes. Nous étions traqués et mis à l'écart par notre amour même. Nous ressemblions aux ombres des cercles dantesques, condamnés que nous étions à une expiation infamante, mais cette expiation n'avait dans notre cas, contrairement à ce qui se passe pour les pécheurs de Dante, aucune faute derrière soi. 
Certains malades, au comble du désespoir, faisaient montre d'acharnement, d'acharnement contre eux-mêmes. On estimait que ce comportement aussi était pathologique. On ne reconnaissait pas au malade son droit à la vie, son droit à la mort. Quand une femme se taillait les veines, on le lui reprochait très vertement et son acte faisait un beau scandale.  Personne ne se donnait la peine de voir quel écheveau de maux ou de douleurs, ou quelle souffrance à l'origine extérieure, l'avait conduite à prendre une telle décision. On le voit, même s'il fallait que nous filions droit, comme de bons soldats, et que nous fassions semblant d'être contents, il n'en reste pas moins que nous mourions à petit feu, jour après jour, et qu'autrui ne s'en rendait pas compte. Nous avions l'impression, j'avais l'impression, d'être dans une longue file de condamnés à mort et de sentir un fouet lourd s'abattre sur notre échine à chaque fois que nous tombions, cependant qu'une voix menaçante disait : "Debout!"  C'est ainsi, en passant notre existence de cette manière si dénuée de raison, que nous nous enfoncions dans les méandres de la folie.


Ce livre est édité par les Editions de la Revue Conférence 
http://www.revue-conference.com/collection-lettres-d-italie/lautre-verite-de-alda-merini.html

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