samedi 14 juillet 2012

Ernst Kreuder : ce que nous appelons le rêve

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Ernst Kreuder par Eberhard Schlotters, 1971 

Restaurer la souveraineté du style et de l’imagination et démasquer ce bluff de journalistes qu’est la « copie de la réalité », ce conte de bonne femme… "On ne peut pas penser sérieusement l’éternité, on en a peur", avais-je lu chez Kierkegaard. Si l’art avait encore une tâche à remplir, c’était d’existentialiser l’homme.
Ernst Kreuder

Ernst Kreuder, ancien rédacteur de la revue Simplicissimus, dût se réfugier à cause des nazis dans un moulin à Darmstadt dès 1933. 

    Là, il écrivit « La société du grenier », publié en 1946.                
       
Extrait :
  - S’il en est ainsi, dis-je, si nous sommes plusieurs personnes, et si de nombreux êtres continuent à vivre invisibles en nous, on ne peut  plus dire non plus : j’ai rêvé.
   - Le rêve, dit Valentin, n’est autre chose, pour ces êtres disparus à jamais, que l’occasion la plus propice de nous hanter, sans rencontrer de résistance. Ce que nous appelons le rêve, c’est leur vie. Quand nous nous éveillons, il leur faut retomber dans le sommeil, et alors ce sont eux qui rêvent : ils rêvent ce que nous sommes en train de vivre. Souvent ils ont en nous des rêves inquiets. Tu sors te promener un peu, dehors tout est calme, dans les prés, au crépuscule, tout d’un coup tu sens que ton cœur bat plus fort, ta tête devient brûlante, une inquiétude frémissante se manifeste, elle s’empare de toi, tu te retournes : rien, tout est tranquille, la vallée baigne dans les fumées du soir, rien d’extérieur ne t’a troublé : c’est donc qu’un être, en toi, se débat dans un cauchemar, il geint et se retourne ; peut-être est-ce une jeune femme, la mort l’a frappée de bonne heure dans notre monde, dès la naissance de son premier enfant. Et à présent, elle rêve dans tes veines, dans ta poitrine, elle dort et elle rêve ce soir où tu te promènes.


Le moulin de Darmstadt
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